Nous sommes le 14 vendémiaire de l’an X de la République, soit le 6 octobre 1801, dans une commune vendéenne d'environ 1000 habitants, le Gué de Velluire.
Le notaire du village vient de mourir.
Il s’appelait Pierre Carteron.
De quinzième jour du mois de vendemiaire l'an dix de
la République française
ACTE DE DÉCÈS de Pierre Carteron, garçon célibataire,
décédé le quatorze de ce moi,
à dix heure du soir, profession de notaire public,
âgé de soixante qunize ans, né au Gué de
Velluire, département de la Vendée,
demeurant au Gué de Velluire, département de la Vendée,
fil de Pierre Carteron, notaire
[et] de Marguerite Coutard, demeurant au Gué.
Sur la déclaration à moi faite par les citoyennes Rose Carteron et
Catherine Nicolas Carteron, femme
de Jean Baptiste Serre et Simon Pierre Rongeot, demeurant au Gué de Velluire,
profession de instituteur, qui ont dit être seur et nièce
du défunt, [et] par le citoyen François Martineau, âgé de trente neuf ans,
demeurant au Gué de Velluire, profession de journalier,
qui a dit être ami du
défunt, [et] ont signé, sauf François Martineau qui a déclaré
ne le savoir de ce enquis, ont signé
Catherine Nicolas Carteron Rose Carteron
Constaté par moi, Simon Pierre Rongeot, Maire de la
commune du Gué, faisant les fonctions d'officier public de l'état civil ;
soussigné
Rongeot
Maire
Célibataire et âgé de 75 ans, il était rentier et possédait plusieurs maisons, des prés, des bois, des vignes…
La course à l’héritage peut commencer !
Deux jours plus tard, le maire du Gué de Velluire, Simon Pierre Rongeot, en avertit le juge de paix. Ainsi, ce dernier appose des scellés « sur les meubles et effets par lui délaissés, pour la conservation et sureté des droits tant de ses héritiers que de tous autres qui auroient pû également prétendre droits à sa succession ».
Notons au passage que, Simon Pierre Rongeot, le maire, peut être concerné par l’héritage car son épouse, Catherine Nicolas est la nièce de Pierre Carteron…
Le 21 brumaire de l’an X (le 12 novembre 1801), Jeanne Martineau, « mère tutrice de Jean Pierre Augustin, son fils, né hors mariage dudit feu Pierre Carteron », prétend que son fils est le seul et unique héritier et que la succession lui revient. Ainsi, le juge de paix décide de lever les scellés.
Effectivement, deux mois avant son décès, Pierre Carteron reconnait l’enfant de sa servante, Jeanne Martineau, âgée de 33 ans, comme étant le sien afin de « tranquiliser sa consience et rendre justice à qui il la doit ». Ainsi, à l’âge de 19 mois, le petit Jean Augustin, né initialement de père inconnu, devient Jean Pierre Augustin Carteron.
Acte de reconnaissance
Mairie du Gué de Velluire, arondisement communal de
Fontenaÿ le Peuple, département de la Vendée, du dix neuf
du moi de thermidor an neuf de la République française,
une et indivisible, acte de reconnaissance. Est
comparu en sa personne, le citoyen Pierre
Carteron, notaire public, demeurant en la commune
du Gué, lequel pour tranquiliser sa consience et
rendre justice à qui il la doit, a dit et déclaré
qu'il reconnais pour son fils naturel, issu de lui
et de Jeanne Martineau, sa servante, laquel aussi pré[sente]
la également reconnu un enfant, né le vingt cinq
frimaire an huit, en registre le vingt six dudit, p[ar]
moi, Simon Pierre Rongeot, maire et officier public,
en présence et sur la réquisition et représentation ainsi
faite de cette enfant, par la citoÿenne Marie Charb[onneau],
sage femme du Gué, et le citoyen Jean Gaÿ l'ainé,
propriétaire, et Marie Bureau, femme de Martin A[ncelin],
batellier, demeurant les deux témoins en la commune
du Gué de Velluire, département de la Vendée, lequel la
nommé Jean Augustin, en conséquence ledit Carte[ron]
et ladite Martineau, veulent et entendent que l'enf[ant]
dont il s'agit, jouise des effet atachés à sa naisance, [et]
le nom qu'il est enregistré en i ajoutant le nom [de]
Pierre. Dont et de tous quoi, il ont requits ac[te]
à moi, dit officier public qui leurs ai acordé pour
servir et valoir ce que de raison et en présence des
citoyen Jean Gaÿ, et Jean Bourneaud, propriétaire
de cette commune du Gué, qui ont avec nous, sousigné
les jour, mois et ans que dessus, sauf la dite
Jeanne Martineau qui a dit ne savoir écrire, ni signé.
Carteron I Guey
Jean Bourneau Rongeot
Maire
Apprenant cette nouvelle, Magdelaine, Marie Elizabeth et Rose, les trois sœurs du défunt, ainsi que leurs conjoints respectifs, décident à leur tour de trouver le juge de paix. Ils leur demandent de réapposer les scellés « pour la sureté et conservation des droits qu'ils avoient à prétendre à la succession ». Ils prétendent être des héritiers.
Mais qui sont-ils exactement ?
Malgré de longues discussions, Jeanne Martineau et les autres héritiers se disputent.
Le seul moyen de les départager est d’aller en justice. Le 6 germinal (le 27 mars 1802), tout le monde se rend au tribunal d’instance de Fontenay-le-Peuple. Les juges donnent raison à Jeanne Martineau : Son fils, Jean Pierre Augustin, est reconnu comme le seul et unique héritier.
Les autres héritiers n’acceptent pas la décision du tribunal. Ils décident de saisir la cour d’appel de Poitiers, qui leur donnera raison. Ainsi, le petit Jean Pierre Augustin n'est plus le seul bénéficiaire reconnu. Il doit partager son héritage.
Le 19 fructidor de l'an X (le 6 septembre 1802), à 9 heures du matin, les notaires Ardouin et Charpentier, se rendent dans la maison du défunt Pierre Carteron.
Tous les héritiers sont réunis pour procéder à l’inventaire de tous les biens. Certains ne sont pas d’accord sur certains détails. Chaque partie fait perdre du temps et de l'argent à l'autre partie. Sept jours sont nécessaires pour énumérer et estimer tous les biens du défunt, de la cave au grenier, en passant par le bureau de travail du défunt et le jardin, de la simple fourchette au lit à quenouilles, en passant par les vêtements et le moulin à café. On liste également l’ensemble des dettes et des créances du défunt.
Le 2e jour complémentaire de l’an X (le 19 septembre 1802), Ardouin, le notaire du Poiré sur Velluire organise la vente de tout le mobilier. Mais, tout n’a pas été vendu : il reste « quatre bines de pläches de chaîne et soixante volumes de livres de pratique et un vieux soliveau ». Ils doivent être réintégrer dans la succession. Malgré tout, la vente rapporte 2156 livres tournois.
Note : A cette époque, un ouvrier agricole gagnait 1 livre tournoi par jour de travail. Un domestique gagnait 100 livres par an.
Des désaccords continuent entre les héritiers. Par conséquent, le 8 thermidor de l’an XI (le 27 juillet 1803), tout le monde se retrouve à nouveau au tribunal de Fontenay le Peuple :
"Le tribunal par jug[emen]t en 1er r[essort], ordonne du consentem[en]t des
parties, que partage et division seront faits par exp[erts], dont les parties
conviendront, sinon pris et nommés d'office, des meubles et immeubles dépendants
de la succession de feu Cartron, pour en être délaissé une moitié à Pierre
Cartron, fils de la d[eman]d[ere]sse et l'autre moitié aux défend[eur]s ; lors duquel partage,
les parties compteront, précompteront et se seront respectivem[en]t raison, et
lors duquel encore la Martineau, comme tutrice de son fils, sera tenue de
rapporter les 2 provisions de 300 l[ivres] t[ournois], qu'elle a touché, ordonne au surplus que
les frais, faits de part et d'autre
liquidés, savoir ceux des d[eman]d[eu]rs à ... et ceux des déf[endeu]rs à 55 f[ranc]
et ceux à faire pour parvenir audit partage seront pris sur la chose."
Autrement dit, le tribunal ordonne que :
- la division et le partage soient réalisés par des experts,
- Le mineur Carteron doit obtenir la moitié de l'héritage et les autres héritiers se partageront l'autre moitié,
- Jeanne Martineau doit réintégrer à la succession, les deux provisions annuelles de pension alimentaire de 300 francs chacune, qu’elle a perçues, pour son fils.
Ainsi, les choses s’accélèrent :
- Le 25 thermidor (le 13/08/1803), Pierre Grizeau, maire de Fontaines, et Jean Butreau, propriétaire, sont nommés experts par le tribunal de Fontenay le Peuple.
- Le 5 fructidor (le 23/08/1803), Sébastien Charpentier est nommé par le tribunal pour assister au tirage et au partage des lots.
Le partage se déroule sur plus de deux mois : Du 30 thermidor an XI (18/08/1803) jusqu’au 3 brumaire an XII.
Il se divise en deux parties : le mobilier et l'immobilier.
D'une part, après de nombreux calculs (les rentes, les loyers, les frais de justice...), les héritiers doivent se partager la somme de 2002 livres tournois : La moitié pour le mineur Carteron et l'autre moitié pour tous les autres héritiers.
D'autre part, sur le plan immobilier, l'ensemble des héritiers doivent se partager des maisons et des terres pour une valeur totale de 11460 francs.
La moitié revient donc à Jean Pierre Augustin Carteron. Il se voit attribuer une maison et un jardin au Gué de Velluire, en location, un pré de plus de 10 hectares, des vignes, des rentes hypothécaires… pour la somme totale de 5730 francs.
Les autres héritiers se partagent la maison principale du défunt notaire, une borderie, des vignes, des rentes, des terriers...
Note : A l'époque, 1 livre de pain blanc coûtait 0,18 francs, une paire de souliers, 6 francs
Sources :
Tableau : http://oparleur.blogspot.com/2010/04/quelques-tableaux.html
Gravure : http://droiticpa.eklablog.com/le-notaire-en-gravures-anciennes-a154215750
Valeur des livres et des francs : https://anc45.jimdo.com/expos%C3%A9s/des-prix-et-des-salaires/
Billet de mille francs : https://www.citeco.fr/premiers-billets-de-la-banque-de-france
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Lili (dimanche, 29 septembre 2019 10:04)
Encore un très bel article passionnant et complet en recherche. Sacré travail et c'est toujours aussi merveilleux de lire ces textes d'époque (les mois étaient assez durs à me rappeler, mes cours d'histoire étant loin). Encore un bel article. Merci pour ton partage.
angel la soeur de ludivine (dimanche, 29 septembre 2019)
très belle recherche, toujours passionnant à lire !! bravo et merci pour le partage